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« J’ai trouvé ça super. Au tout début, avec la visite expérientielle, j’ai eu du mal à comprendre où vous souhaitiez nous emmener; il s’agissait simplement de nous mettre dans un état d’esprit créatif. J’ai été challengé intellectuellement, votre approche est puissante. Vous faites muter les méthodologies actuelles, UX/CX. Notamment j’ai aimé la notion de double empathie, qui apporte un nouveau prisme de lecture à la création, que l’on regarde tous d’un point de vue business »
— Régis Assad, 1984 School of Design
« La Story Room, c’est une aire de jeu intérieure, une exploration du labyrinthe de toute conception individuelle et collective, de nouvelles représentations ou de nouvelles choses (idées, comportements, objets). C’est un labyrinthe où, se perdre et s’éloigner, nous rapproche en fait de l’issue. Certains parleront d’un ‘serious game’, en partie réel et en partie virtuel, où nous entraînent nos hôtes bienveillants… Et puis il y a le final, un apéro sain et bien convivial »
— Gilbert Giacomoni, Responsable GIPE AgroParistech
Pour cette 5ème expédition créative, nous avons choisi de traiter de la culture, qui peut sembler officielle et exclusive, avec le design d’expérience, qui incarne une démarche plus spontanée, ouverte, vivante. Alors avec la culture expérientielle, que reste-t-il à invenver ?
Théâtre immersif, réalité augmentée, muséographie numérique et innovante, tourisme authentique. Faut-il parler de culture expérientielle ou de culture de l’expérience ? A-t-on besoin de scénaristes du patrimoine ou de concepteurs d’expériences déroutantes ? Avec la communauté Scénary, nous avons inventé les formats et contenus expérientiels de demain.
“Cultura” en latin est le soin que l’on donne à la terre, et l’attention que l’on donne à l’esprit. D’après le CNRTL, la culture qualifie l’ensemble des moyens mis en œuvre par l’homme pour augmenter ses connaissances, développer les facultés de son esprit, et améliorer notamment le jugement et le goût.
Il faut tout d’abord remarquer que la culture représente pour certains, une manière d’ouvrir son esprit, d’augmenter sa sensibilité et alors que pour d’autres il s’agit d’un capital de connaissances à acquérir. La culture permettrait donc d’explorer deux voies bien distinctes : atteindre un état supérieur ou bien accéder au bonheur ?
Qui regarde et qui montre la culture ?
Regarder et montrer la culture : Qui décide de ce qui fait culture ? Qui la regarde, la sélectionne, la capte ? Également, qui choisit la façon dont on la restitue ? Dont on la transmet, la rend accessible ? Et comment ?
À l’instar du modèle de la double empathie, se pose en premier lieu la question suivante : qui sont aujourd’hui les concepteurs de formats culturels d’une part, et qui sont les expérienceurs des dispositifs imaginés d’autre part ? Quels sont les messages, les visions, les désirs qui sont aujourd’hui portés par ces parties ? Est-ce que leurs conceptions sont intercorrélées ? Est-ce que les seconds influencent les premiers ? Est-ce qu’il s’agit d’un canal de communication Émetteurs → Récepteurs ou bien les récepteurs sont-ils également des expérienceurs libres d’improviser dans les dispositifs conçus grâce à une aire intermédiaire d’expérience ? On entend par aire intermédiaire d’expérience les éléments concrets et imaginaires qui sont ainsi chorégraphiés en vue de la rencontre entre le design d’expérience et le récepteur, donc, pour permettre à l’expérience de se dérouler de manière vivante et autonome.
Cette question est très d’actualité dans le monde du Musée et une redéfinition récente proposée par l’ICOM, International Council of Museums [1] pose très clairement le débat et notre désir croissant de vivre des expériences culturelles : Les conservateurs peuvent être soit des collectionneurs dont le but est d’acquérir la culture pour faire la curation de ce qui fait société pour l’époque ? Soit des sélectionneurs, qui rendent les mémoires vivantes en faveur de la dignité et de la justice sociale ?
Culture classique VS Culture expérientielle
La dernière version de la définition du musée datant de 2007 par l’ICOM n’avait pas connu de grande modification depuis un demi-siècle. Le musée était défini comme un objet livrant de manière unilatérale la culture pour le public, correspondant à une culture classique :
« Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation. » Définition de 2007
La proposition de Jette Sandahl, la présidente du Comité permanent de l’ICOM, quant à elle, offre une porte ouverte à ce qui peut être improvisé avec les expérienceurs, ceux qui vivent l’expérience, au musée :
“Les musées sont des espaces démocratisants, inclusifs et polyphoniques pour un dialogue critique sur le passé et l’avenir. Reconnaissant et abordant les conflits et les défis du présent, ils conservent des artefacts et des spécimens pour la société, préservent diverses mémoires pour les générations futures et garantissent des droits égaux et un accès égal au patrimoine pour tou·te·s. Les musées sont à but non lucratif. Ils sont participatifs et transparents et travaillent en partenariat actif avec et pour diverses communautés afin de collecter, préserver, rechercher, interpréter, montrer et améliorer la compréhension du monde, dans le but de contribuer à la dignité humaine et à la justice sociale, à l’égalité mondiale et au bien-être de la planète.” Proposition de définition de 2019
Qui et comment restituons-nous la culture, la fait-on apparaître, la transmettons ? On peut comparer deux types de restitution : l’instruction, souvent transmise sous forme de discours et l’émotion qui a plus de facilité à être incarnée et improvisée par le public. En effet, on laisse une marge au public plus importante pour s’approprier subjectivement la culture et la retransmettre de manière vivante et émotionnelle.
En ressort une typologie graduelle de 4 formats culturels : culture classique, culture vivante, expérience culturelle, culture expérientielle. Deux clés de lecture sont envisagées pour l’expérienceur : le niveau d’aventure et le niveau d’engagement [3] pour les rendre davantage inclusifs, expérientiels et marquants.
- La culture classique, correspond aux formats accessibles dans les musées de manière traditionnelle comme le Musée du Louvre, par exemple. La culture est transmise comme une compilation de connaissances à acquérir pour se construire et vivre en société. Ce patrimoine est transmis également à travers le système éducatif
- La culture vivante, correspond à des formats qui font un effort d’incarnation, comme au Puy du fou, le parc de loisirs français par exemple. Là-bas, les expérienceurs choisissent une époque, un spectacle, un thème gastronomique en totale liberté, puis assistent aux mémoires historiques qui s’agitent sous leur yeux. Témoigne également de formats récents de culture vivante, “LautreXperience” [4] proposait, en parallèle de l’exposition de tableaux de Henri de Toulouse-Lautrec, un cabaret de chansons mettant en scène les figures célèbres de Montmartre que le peintre a illustrées
- L’expérience culturelle, ou lorsque l’expérienceur est invité à choisir librement son parcours dans un espace déjà établi. Frac Forever au centre Pompidou de Metz proposait en 2013 une expérience de visite originale : le public avait la possibilité de découvrir les œuvres exposées à la lueur de lampes torches. Cet éclairage, permettait aux visiteurs de ne pas “subir” le musée mais de s’engager dans un chemin d’exploration subjective
“Aujourd’hui, c’est le public qui est devenu génial”, affirme Chris Dercon [5]
- La culture expérientielle rassemble les expériences qui proposent un niveau d’aventure et d’engagement maximal comme les escape game, le théâtre immersif, le théâtre d’improvisation. En effet, ces expériences mettent en scène le public, et donne un espace pour l’imprévisible, le spontané, l’inconnu. Nous avons rencontré Marialya Bestougeff, directrice de l’Innovation du Cent-quatre à Paris. Elle décrit le lieu comme un “abri esthétique”, un dispositif qui permet aux acteurs de se croiser, de se rencontrer, à travers des pratiques spontanées. Récemment présent pour une journée de performance au musée Mac Val à Vitry, le groupe de recherche Dancing Museums pousse la piste de l’appropriation corporelle encore plus loin. Il travaille à engager viscéralement et intellectuellement les visiteurs avec les œuvres d’art.
“Une bonne expérience vaut mieux qu’un long discours”, alors sans plus attendre, voici les réponses aux 3 défis proposés ce jour-là à Scenary, la communauté du design d’expérience.
- Co-regardons la culture, sélectionnons la culture avec le public, conservateurs et intermédiaires
— Le Musée de la colère, l’histoire des petites et grandes colères qui ont fait notre société
À l’initiative d’artistes engagés qui ont souhaité collecter et partager les faits de société qui ont cristallisé notre héritage culturel, la Colère, un des 7 péchés capitaux, fait l’objet d’un musée. Ce Musée de la colère ouvre ses portes sur l’histoire des colères petites et grandes qui ont fait notre société, de la Révolution Française, jusqu’à nos jours avec les gilets jaunes. Dans ce musée, on arrive avec sa colère qu’elle soit éphémère ou symptomatique. On la partage avec les autres, soit elle s’évapore, soit on la dépose pour les prochains colériques. C’est un lieu de partage et d’écoute où l’on apprend à exprimer ses sentiments d’incompréhension ou d’injustice. Après tout , “La culture, c’est la société qui s’exprime”.
- Co-montrons la culture, restituons la culture à travers des dispositifs engageants
— Toc Toc Opéra, vivre l’opéra autrement
Pour familiariser le jeune public à l’opéra, l’Opéra Garnier dévoile une nouvelle manière de découvrir les grands classiques. À l’entrée, un guide vous propose 3 circuits pour parcourir les lieux : un premier parcours pour choisir un costume, un deuxième pour sélectionner un fragment de musique, et un dernier pour le décor. À l’issue des parcours, on vous dévoile le personnage correspondant à votre sélection : Papageno ! Vous êtes maintenant derrière l’objectif de Toc Toc Opéra (déclinaison de TikTok [6]) et incarnez Papageno en live.
- Co-improvisons la culture, ouvrons les dispositifs à la création démocratique
— L’Autre festival, le festival de Cannes inclusif
L’Autre festival est un format bien particulier du festival de Cannes. Toujours dédié à la culture cinématographique, il passe à l’acte en incarnant les valeurs éthiques des artistes et du public évoquées depuis de longues années. Le jury s’engage sur l’hétérogénéité du public et des films en intégrant un pourcentage de migrants à tous les niveaux : membre du jury, comité de sélection pour le vote, artistes, public pour l’accueil, montée des marches, … L’Autre festival en 2020 est un format de Cannes exceptionnel et engagé pour faire date.
[1] Est-il nécessaire de redéfinir les missions du Musée ? France Culture 13/09/2019 https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/est-il-necessaire-de-redefinir-les-missions-du-musee
[2] Serge Chaumier est responsable du Master Expographie Muséographie (MEM)http://lettres.univ-artois.fr/equipe-enseignante/serge-chaumier
[3] Géraldine Hatchuel explicite les modèles évoqués dans “Le design d’expérience, scénariser pour innover”, 2018 https://www.fypeditions.com/le-design-dexperience-scenariste-pour-innover/
[4] LautreXperience, Entre-sort forain, a eu lieu le 24/11/2019 pour Le Hall de la chanson à Paris. Conçu par Serge Hureau et Olivier Hussenet à l’occasion des 200 ans du peintre Henri de Toulouse-Lautrec
[5] Chris Dercon, ancien directeur du Tate Modern, et actuellement présidente de la RMN-Grand Palais https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/06/07/chris-dercon-adapter-le-grand-palais-aux-nouveaux-publics_5472655_3246.html
[6] Tik Tok- Make you day, est une application de partage de vidéo musicale et de réseautage destinée aux adolescents https://www.tiktok.com/fr/